- -Commençons par le commencement. Où êtes-vous né ? Qui était votre famille ? Des frères et soeurs ? Comment s'est passé votre enfance ? En quoi cette période de votre vie a t-elle fait de vous ce que vous êtes aujourd'hui ?
Ma mère avait tout pour elle : elle avait de la beauté, de l'esprit et était issue d'une famille fortunée. Il apparaissait comme un fait certain qu'elle ferait un très beau mariage. Le candidat idéal fut d'ailleurs trouvé alors qu'elle avait à peine dix-huit ans, et l'union rapidement conclue entre les deux parties. Une transaction qui demeurait plutôt courante à l'époque. Ils eurent un premier enfant, ma sœur Catherine, puis, deux ans plus tard, je vins au monde à mon tour, à Londres, le 31 octobre 1909. Je n'ai que peu de souvenirs des toutes premières années de mon existence, mais elles furent heureuses, il me semble. J'avais une sœur que j'aimais, nos parents se montraient attentionnés et je crois n'avoir jamais manqué de rien. Je n'ai cependant pas eu une enfance ordinaire, une enfance telle qu'elle devrait normalement être. Mais je n'étais pas la seule dans ce cas là, et de même que tous les enfants d'Europe, je connus la guerre. Je n'avais que quatre ou cinq ans à l'époque, et c'est de là que me viennent mes premiers souvenirs les plus précis. Je me rappelle encore aujourd'hui la peur des bombardements, et surtout, le jour où mon père décida de s'engager dans l'armée. Je ne me rendais alors pas bien compte de ce que cela signifiait, mais je me souviens que ma mère ne cessait de pleurer.
Je n'ai que bien peu connu mon père, en vérité. Lorsque la guerre prit fin, il était déjà mort depuis de nombreux mois. Le continent était en reconstruction, tout comme notre famille. Ma mère se retrouvait à élever seule deux fillettes, et bénéficiait de ressources bien moindres qu'auparavant. Pour des raisons de nécessité, et sans doute pour échapper à une solitude qu'elle trouvait insupportable, elle se remaria rapidement avec un homme qui serait capable de lui assurer un soutien financier. Encore marquée par la dureté de la guerre et surtout par la mort de mon père, je me montrai particulièrement peu tendre avec lui, une conduite que j'ai longuement regrettée par la suite, réalisant qu'il n'avait jamais voulu que notre bien à toutes.
- -Bien. A présent, parlons de votre adolescence, l'âge ingrat et tout ça ... Étiez-vous heureux ? Le collège, le lycée, ça vous dit quelque chose ? Avez-vous vécu un élément marquant pendant cette période ? Une découverte ? Le sexe peut-être ? Le surnaturel ?
Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait eu une réelle barrière entre mon enfance et mon adolescence. Sans doute les épreuves de la guerre m'ont-elles fait grandir plus vite. Je devins adolescente dans les années 1920. Les temps changeaient, un vent de liberté et de légèreté soufflait sur la jeunesse britannique. Je sortais avec ma sœur, flirtais, malgré les protestations de ma mère qui détestait nous savoir dehors. Mais je devenais femme, mon corps changeait et avec lui, ma manière d'envisager l'existence. Je désirais une vie autre que ce qu'avait été la sienne, ne voulant dépendre de personne, et surtout pas d'un mari. Autour de moi, les mariages d'amour se faisaient de plus en plus fréquents, même s'ils n'étaient pas encore devenus la normalité. Mais, plus que le mariage ou même l'amour, je désirais l'indépendance et la liberté. Pour cela, il me fallait un travail et j'entrepris dès mes seize ans une formation pour devenir infirmière.
Alors que j'avais été une enfant plutôt quelconque, je devins assez jolie en grandissant. Je connus quelques amourettes, dont une en particulier avec un employé d'une fabrique de tissu, Peter Marshall. Il ne cessait d'insister pour m'épouser, mais je refusai, me sentant encore bien trop jeune et bien loin de ces préoccupations.
- -Je vois ... Passons à votre passage à l'âge adulte. Comment avez-vous vécu cela ? Avez-vous fait des études ? Viviez-vous toujours chez vos parents ? Et les relations amoureuses dans tout ça ? Je suis persuadé que vous avez des choses à nous dire là dessus ! Un évènement traumatisant ? Ou au contraire, une fabuleuse expérience ? Dite-nous tout !
J'eus vingt ans l'année où la crise économique frappa durement l'Europe. La vie quotidienne devint particulièrement difficile tant les problèmes d'argent se faisaient nombreux, et ce malgré mon travail. C'est alors que l'idée d'affronter les duretés de l'existence seule me parut terriblement effrayante. Il me fallut cependant de nombreux mois avant de me résoudre à accepter la proposition de mariage de Peter, qui n'avait jamais vraiment cessé de me courtiser. Je n'éprouvais guère de grande passion pour lui, mais c'était un garçon droit et sincère, et je l'aimais bien. Je sentais que j'aurais pu en tomber amoureuse si je me laissais suffisamment aller. À cause de nos problèmes d'argent, il nous fallut cependant un certain temps avant de pouvoir nous marier. Peter perdit son emploi et dut en chercher un autre. Mais malgré tout, l'attente finit par prendre fin et la date du mariage fut fixée. Contrairement à ce que j'avais imaginé quelques années auparavant, je ne craignais pas de me trouver enfermée ou soumise à mon futur époux. L'avenir m'apparaissait sous un jour paisible. J'étais alors loin d'imaginer ce qui m'attendait.
Il était une ombre tapie dans l'obscurité. Il me semblait que partout où j'allais, il ne cessait de me suivre. Il m'avait fait des avances, une fois, que j'avais repoussées. Bien sûr, j'ignorais alors ce qu'il était réellement. Il ne m'apparaissait que comme un homme un peu trop insistant. Le fait qu'il n'apparaisse que la nuit m'avait un peu intriguée, mais c'est tout. Je m'étais figuré qu'il s'agissait d'un noctambule, ou bien qu'il travaillait de nuit. Je n'imaginais pas non plus ce qu'il y avait dans sa tête. Je ne le sus que par la suite : je l'obsédais littéralement. Il ne pensait qu'à moi, me voulais, moi. Je n'ai jamais réussi à comprendre pourquoi. Sans doute n'y avait-il pas de raison particulière. Il était simplement fou, et me rendit folle. Mais à ce moment-là, il me faisait simplement un peu peur. Il n'avait jamais tenté de me faire du mal directement, je me contentais donc de l'éviter lorsque je le croisais.
Le dernier jour de ma vie fut, ironiquement, la veille de mon mariage. Je n'avais que vingt-quatre ans. Une petite fête était organisée pour fêter l'événement. Il ne fallut que quelques minutes, quelques minutes durant lesquelles je sortis seule afin de prendre un peu l'air et faire quelques pas. Sans que je puisse le voir venir, il se trouva soudain devant moi. Le reste fut rapide. J'entendis ses paroles et sentis sa morsure. La suite demeure encore aujourd'hui très flou. Je me souviens de la peur, et surtout, de cette intense et épouvantable douleur qui me déchira, allant jusqu'à me faire perdre la raison.
Lorsque je repris pleinement conscience, je compris à peine ce qui m'était arrivé. Je découvris d'un seul coup l'existence de créatures surnaturelles auxquelles je n'avais jamais cru, ainsi que ma nouvelle nature. J'étais désormais une créature de la nuit et à mes yeux, je ne valais guère mieux qu'un cadavre. J'étais sans cesse torturée, partagée entre la faim persistante et une conscience qui demeurait. Je désirais me nourrir, voire même tuer, et me haïssais pour cela. Mon créateur, Craig, me jura qu'il m'avait transformée par amour pour moi et passerait l'éternité à mes côtés. Lui aussi je le haïssais, pour ce qu'il était et pour ce qu'il m'avait fait, et pourtant, je me sentais liée à lui. Il me dit que j'apprendrais bientôt à contrôler mes instincts. Pourtant, plus le temps passait et plus ma folie semblait prendre le pas sur la raison. Je connaissais ces moments de perte totale de conscience, où je n'obéissais plus qu'à un instinct presque animal. Parfois, durant de courts épisode, je devenais persuadée d'être de nouveau la jeune femme à la veille de son mariage. Mais je n'étais plus la même. J'étais devenue terriblement instable, et surtout, imprévisible.
Quant à mon créateur, la passion qu'il éprouvait à mon égard, si passion il y avait eu un jour, s'essouffla au bout de quelques temps, aussi rapidement qu'elle avait germé. À présent que j'étais vampire, l'intérêt qu'il avait eu avait fini par disparaître, et il m'abandonna un jour. Livrée à moi-même, je décidai de quitter l'Angleterre. J'appris par la suite qu'il avait été sévèrement châtié pour avoir ainsi abandonné sa progéniture. Je n'étais pas la première à qui il faisait subir ce sort. J'ignore ce qu'ils auraient fait de moi si je m'étais encore trouvée sur place à ce moment-là.
Sans lui, mes crises s'estompèrent et je demeurai seule avec pour unique compagnie ma propre image, celle que j'appelais l'Autre, et qui me suivait partout où j'allais. Affranchie de mon créateur, qui avait aussi été mon bourreau, mes crises s'espacèrent. Je voyageai, errant à travers le monde durant de nombreuses années, souvent seule, mais parfois accompagnée de l'un de mes semblables.
- - Assez parlé du passé ! Je veux tout savoir de votre présent. Exercez-vous une profession ? Avez-vous une famille, une âme soeur ? Et que faites- vous en Louisiane si vous n'y avez pas grandi ? Quels sont vos objectifs dans la vie ?
Au cours de mes voyages, je me suis arrêtée en Louisianne il y a de cela une dizaine d'années. J'avais beaucoup aimé cet endroit et le calme qui y régnait. J'y suis revenue après la Révélation. Quitte à être exposée, je préférais que ce soit dans un endroit comme celui-ci plutôt que dans une grande ville, et il se trouve qu'à ce moment-là je séjournais à proximité. Un certain nombre de vampires y vivent, ce qui me pousse à me sentir chez moi.
Au début, j'avais repris mon ancien métier d'infirmière en pratiquant la nuit. J'avoue que les débuts ont été un peu difficiles, d'autant plus quand les patients apprenaient que leur infirmière était une vampire. Mais à force, les choses se sont tassées. Je travaille à l'hôpital de Shreveport depuis deux ans à présent, mais je vis à Bon Temps, dont l'atmosphère particulière me convient bien mieux. À présent, je suis profondément attachée à cet endroit, peut-être même davantage qu'à l'Angleterre. Néanmoins, et malgré la présence de l'Autre qui demeure toujours à mes côtés, la solitude me semble parfois difficile à supporter, mais mes crises sont parfois telles que je ne peux espérer qu'un être accepte de les endurer également.
- -Intéressant ... Maintenant, j'aimerais que vous me décriviez quelle fut votre réaction lors de la Grande Révélation des vampires ? Quelle relation entretenez-vous avec tout ce monde surnaturel ? Et si vous en faites partie, êtes-vous à l'aise avec votre nature ? Que pensez-vous de la menace qui règne sur les loups-garous et les métamorphes ?
Ma nature de vampire me convient-elle ? Probablement pas. Je m'y suis simplement habituée, au fil des années. Dans mes moments de lucidité je l'accepte, et parfois même j'en profite lorsque je peux me contrôler. Mais lorsque je perds pied, je ne vois plus en moi qu'un monstre, une abomination, un animal capable des pires cruautés. Quant aux autres créatures, j'avoue que je préfère les éviter, en particulier les Loups-Garous. C'est bien connu, nous n'avons jamais fait bon ménage et depuis que le V circule, je garde d'autant plus mes distances, et je me soucie assez peu de ce qui peut leur arriver.
Je ne sais pas vraiment quoi penser de la révélation et j'ignore si c'est réellement une bonne chose. Ceci dit, au moins les êtres humains savent à quoi s'attendre et nous n'avons plus à nous cacher, mais ce n'est pas pour cela qu'il n'y a pas de dérives, bien au contraire. Car si je pense parfois moi-même que je suis un monstre, que croyez-vous que les humains pensent ?
Ceci dit, le Tru Blood est une innovation dont je suis plutôt heureuse. Cela m'enlève un poids de pouvoir me nourrir sans que personne ne soit blessé, même si dans mes moments de crise, je suis absolument incapable de résister à l'odeur enivrante du sang. Je sais que mes états schizophréniques deviennent dangereux pour moi. Je suis le type de vampire susceptible de nuire à la coopération entre humains et créatures de la nuit, et tôt ou tard, il se pourrait bien que je me trouve dans le collimateur de l'Autorité si je n'y prends pas garde...
- - A présent, j'aimerais pouvoir me faire une image de vous dans mon esprit ... Décrivez-vous physiquement, votre style vestimentaire, vos signes particuliers, voir votre forme animale ...
Il est plutôt difficile de se décrire physiquement, mais après tout, pourquoi pas. D'après certaines personnes, je présente une forte ressemblance avec ces anciennes poupées de porcelaine qu'on voit parfois dans les greniers. Il est vrai que j'ai toujours eu le teint très pâle, d'autant plus depuis ma mort. Mon visage est de forme plutôt carrée et mes traits fins. J'ai de grands yeux bleus, qui sont sans aucun doute ce que je préfère chez moi, bien qu'ils soient souvent un peu cernés. Mes cheveux, en revanche, sont lisses et d'une couleur plutôt banale, variant du blond cendré au châtain clair selon la lumière. Je les coiffe d'ailleurs la plupart du temps par un brushing typique des années soixante-dix, ou bien je les laisse libres et décoiffés selon mes envies. J'ai une frange que je place tantôt droite, tantôt sur le côté.
Je suis petite et j'atteins avec peine le mètre soixante. Je suis également plutôt fine, voire très frêle, jusqu'à en paraître fragile. Sur le plan vestimentaire, je m'habille de manière plutôt classique, voire rétro. On pourrait presque considérer que je suis une publicité vivante pour la mode vintage. C'est un peu décalé, mais c'est ainsi que je me sens la plus à l'aise.
- -Bon, et bien je crois que nous avons fini. Avez-vous autre chose à rajouter ?
Si vous entendez un jour un morceau de violon dans la nuit, ne vous en étonnez pas: je pratique cet instrument depuis une cinquantaine d'années à présent, et j'aime en jouer dehors.
-Et voici la cerise sur le gâteau ! Le principe est simple, je vais soit vous donner le choix entre deux possibilités et vous devrez en choisir une et une seule, soit je vais laisser une phrase en suspens et vous devrez la terminer! Vous avez compris ? C'est parti !♠ Routine ou aventure? Bien que je préfère la routine, je me trouve souvent confrontée à l'aventure.
♠ Jour ou nuit ? La nuit, bien sûr.
♠ Froid ou chaud ? Froid.
♠ L'amitié pour toi c'est... Compliqué. Il est difficile d'accorder pleinement sa confiance à quelqu'un.
♠ Vampires ou loups-garous? Vampires. Je me méfie profondément des loups-garous.
♠ Eau ou feu ? Tout dépend de mon humeur.
♠ Bien ou mal ? Neutre je dirais. Il est rare que quelque chose soit tout blanc ou tout noir.
♠ Tolérance ou intolérance ? Tolérance, mais méfiance.
♠ Sucré ou salé? Sucré.
♠ Dominant ou dominé ? Ni l'un ni l'autre.
♠ Fidèle ou infidèle ? Fidèle, toujours.
♠ La vengeance pour toi c'est... Inutile. On n'en tire jamais rien de bien.
♠ Hommes ou femmes ? Hommes.
♠ Mature ou immature ? Immature.
♠ Blanc ou noir ? Gris.
♠ Le sang c'est... Ma nourriture et quelque chose qui m'obsède parfois.
♠ Tension ou passion ? Tension. Me laisser aller à la passion est dangereux pour moi.
♠ Honnêteté ou manipulations ? Honnêteté.
♠ Seul ou accompagné? Accompagnée par mes hallucinations.
♠ La confiance pour toi c'est... Difficile à acquérir, encore plus à conserver.
♠ Livre ou télé ? Livre.
♠ L'amour c'est... Quelque chose qui m'est inaccessible.
♠ Juge, jury ou bourreau? Jury.
♠ Le surnaturel c'est... Toute ma vie depuis presque 80 ans.
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♠ La fin ou l'infini ? L'infini.